Autres domaines d’application de la mesure

Mesurer, c’est repérer et quantifier un phénomène physique, chimique, humain…La notion de mesure ne se circonscrit pas à ce qui quantifiable par des mesures d’ordre physique, comme en témoignent les nombreux exemples issus des différents domaines de la société dans lesquels d’innombrables travaux de recherche sont menés pour rendre ces mesures les plus satisfaisantes possible.

Dans le domaine économique

En économie, la mesure de grandeurs préalablement définies (emploi, croissance, valeur ajoutée,etc.) est assurée par le biais d’indicateurs qui sont des statistiques dont la construction, la corrélation avec d’autres grandeurs et le suivi sont du domaine de l’économétrie, branche de la statistique appliquée à l’économie.

Jusqu’aux années 1930, les statistiques étaient collectées de manière éparse. C’est la Grande dépression qui a souligné le besoin d’un instrument de mesure plus systématique et plus synthétique. C’est ainsi qu’est élaboré notamment sous l’impulsion de l’américain Simon Kuznets, prix Nobel d’économie 1971, le produit intérieur brut (PIB), adopté en France avec la comptabilité nationale après la 2e guerre mondiale. Au cours des dernières décennies le PIB, qui mesure la production de biens et services pendant une année donnée, sur le territoire intérieur d’un pays donné, a été un instrument de mesure de l’activité économique très utilisé, même si les bases statistiques et conceptuelles sur lesquelles il est fondé, ne lui permettent pas de traduire, comme on a eu progressivement tendance à l’accepter, une mesure du niveau de vie et du progrès social.

Aujourd’hui la plupart des économistes sont convaincus du fait que la notion de produit intérieur brut concue à une période où il fallait avant tout développer l’outil de production pour satisfaire les besoins essentiels de l’ensemble de la population, n’est plus adaptée à une mesure satisfaisante de la performance économique. De nombreux travaux visent à élaborer des indicateurs composites prenant en compte, outre la production de richesse, les inégalités sociales, la qualité de la vie, celle de l’environnement. Il existe déjà des indicateurs alternatifs ou complémentaires au PIB. Voir Jean GADREY et Florence JANY-CATRICE, Les nouveaux indicateurs de richesse. La Découverte, Paris, 2005.

Certains indicateurs ont déjà été utilisés pour mesurer les “performances” globales des pays, et l’on peut donc comparer les classements réalisés sur la seule base du PIB et ceux réalisés sur la base d’indicateurs plus larges comme l’indicateur de développement humain (IDH), ou l’indice de bien-être économique d’Osberg et Sharpe, ou encore l’indicateur de progrès véritable et l’empreinte écologique.

Voir le Forum FAIR

Même s’il n’est pas facile de chiffrer la complexité de notre réalité, on peut trouver de bien meilleurs instruments de mesure que ceux du PIB, selon Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie 2001, président de la Commission à l’origine du rapport sur « la mesure de la performance économique et du progrès social » publié en 2009.

Concernant les technologies de l’information et de la communication

Dans un autre registre de mesure relatif à la société, l’Union internationale des Télécommunications (ITU) publie un Index de développement concernant la société de l’information : Measuring the Information Society – The ICT Development Index – Edition 2009.

Après avoir défini ce qu’est qu’une société de l’information et à quelles conditions une société devient une société de l’information, cet index considère le niveau d’avancement des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans plus de 150 pays et compare les progrès accomplis entre 2002 et 2007. Il donne une mesure de l’ampleur actuelle du fossé numérique et examine comment celui-ci s’est développé au cours des années récentes.

Dans le domaine social

Dans le domaine social, l’instauration d’une véritable science de la mesure est étudiée selon différents axes, par exemple la mesure de la pauvreté ou la mesure de la qualité des services humains.

La mesure de la pauvreté

On constate que les chercheurs déployent des efforts considérables pour définir et mesurer la pauvreté en l’abordant en gros selon trois angles : le bien-être économique, la capacité et l’exclusion sociale. Si ces trois approches ont été remarquablement utiles pour comprendre la pauvreté d’une société à l’autre et dans le temps, chacune d’entre elles est devenue si complexe qu’il est désormais extrêmement important d’intégrer ces approches et d’entreprendre des études sur la pauvreté avec des indicateurs appropriés pour aboutir à des conclusions plus satisfaisantes.

Voir : WAGLE Udaya Repenser la pauvreté : définition et mesure, Revue internationale des sciences sociales, 2002, no171, 175-186 et Multidimensional poverty measurement, Springer Verlag, 2008.

L’évaluation des services humains

L’éducation, la santé, le bien-être des individus constituent des domaines qui devraient être évalués grâce à une métrologie sociale science de la mesure dans les services humains, au cœur de laquelle l’éthique et la qualité ont une place importante. Cette évaluation des pratiques intégrée à une problématique de sûreté de fonctionnement pourrait être effectuée en construisant de véritables indicateurs de contrôle et en s’appuyant sur des règles précises de mesure. La nécessité de conformité des services aux impératifs de développement durable « Satisfaire les besoins des populations actuelles sans compromettre ceux des générations futures” conforte aujourd’hui l’affirmation de cette piste de progrès.

Voir Jean-Luc JOING, Quelle métrologie pour les services humains ? Contribution à la clarification de la notion de métrologie sociale, in Sylvie Cothenet, Acte des colloques organisés par le Réseau Qualité sociale, septembre 2002-octobre 2003, Université de Lille 3, Ed. L’Harmattan, 2004 et Auditer l’éthique et la qualité, Pour un développement durable, AFNOR, 2009

Concernant l’individu

Rapportée à l’individu, la notion de métrologie peut selon la thèse de Marie-Ange Cotteret être déclinée sous forme de « métrologie personnelle, constituée d’un ensemble de sensations personnelles ; une mesure ressentie ». Cet ensemble de mesures est raccordé à des étalons intimes en évolution constante. Personne d’autre que l’individu lui-même ne peut gérer cette métrologie intime. Je pose la « métrologie personnelle » comme étant première car elle est liée au vivant qui apprend à se reconnaître et à reconnaître son environnement pour rester en vie et évoluer. « C’est en travaillant auprès de personnes démunies et désorientées que j’ai pris conscience de l’existence pour chacun d’une métrologie personnelle ».

Aux côtés de la métrologie scientifique qui établit les unités, les étalons, les méthodes de mesure et les calculs d’incertitude, et de la métrologie transactionnelle née en Mésopotamie, il y a 5000 ans, en même temps que l’école, l’écriture, la comptabilité et les tribunaux., dont certains principes mis en œuvre à cette lointaine époque sont encore présents dans la métrologie actuelle, la « métrologie personnelle » est introduite dans cette thèse comme un concept nouveau, désignant la fonction originelle de la mesure, une fonction vitale de l’être qui apprend à se reconnaître et à reconnaître son environnement pour survivre, vivre et évoluer.

En conclusion

La mesure a donné lieu, au cours du temps, à d’innombrables travaux qui ont abouti à l’élaboration d’une branche particulière de la science, la métrologie, dont les applications font l’objet, aujourd’hui, d’une structuration et d’une législation bien définies, basées sur un langage commun, utilisable par tous.

Développée d’abord dans le domaine des sciences physiques et mécaniques, la métrologie touche maintenant la biologie, la santé, l’environnement et même d’autres secteurs de la société dans lesquels des efforts considérables sont effectués pour élaborer des systèmes de mesure pertinents, concernant des concepts relatifs soit à la collectivité comme le développement économique, l’impact environnemental d’une population., soit à l’individu comme le bien-être, la qualité de la vie.

Les qualités humaines, par exemple la rigueur et l’esprit critique, sur lesquelles est basée la métrologie sont particulièrement indispensables à chacun, dans sa vie quotidienne aussi bien que pour saisir dans leur complexité les processus économiques, politiques, sociaux, ethniques, religieux., à la base des problèmes fondamentaux et globaux de la société contemporaine.

La culture métrologique enrichit la capacité des individus à être critiques face aux différents aspects d’une situation et contribue à former des esprits rigoureux, capables de comprendre les enjeux du monde actuel et d’agir en conséquence.

Danièle Bretelle-Desmazières